philosophie du yoga

La démarche spirituelle hindoue et l’Occident

Voici ci-dessous une limpide explication par Jean Herbert de la démarche spirituelle hindoue et la rencontre des maîtres hindous avec l’Occident.

Concernant les maîtres hindous ,Jean Herbert s’interroge «  comment se fait-il que l’Occident n’ait jamais, jusqu’à notre époque, prêté attention à ces maîtres de sagesse, et pourquoi, maintenant, tant de gens se tournent-ils vers eux ? La question est fort pertinente et la réponse est, d’ailleurs, facile. On peut dire que jusqu’à Schopenhauer, l’Occident a complètement ignoré la culture de l’Inde, tout au moins en ce qu’elle a de profond. La révélation des Upanishads, à travers de biens mauvaises traductions d’ailleurs, souleva un grand intérêt, mais il restait fort difficile d’établir le contact. Dans l’Inde, les vrais maîtres ne se préoccupent guère de chercher des disciples, et quand ils en acceptent c’est généralement après les avoir soumis à de dures épreuves. Ces maître, qu’il était déjà fort ardu de rencontrer, car la plupart du temps ils habitaient dans des jungles et des cavernes propres à la méditation, ignoraient tout de l’Occident, de sa mentalité, de ses langues, de sa culture, de ses aspirations; les quelques manifestations isolées qu’ils avaient pu voir les choquaient profondément . portugais, hollandais, français, anglais, avaient surtout envoyé dans les Indes des soldats, de petits employés, des marchands et des aventuriers de tous calibres, gens moins portés en général à la recherche spirituelle qu’à l’alcool, la sensualité et la fortune matérielle. Prêtres et pasteurs missionnaires auraient certes pu jouer un rôle précieux, mais leur tâche était avant tout de faire des conversions, d’envoyer à leurs mandants des statistiques de baptêmes qui leur permissent de recueillir de nouveaux fonds et de faire ainsi prospérer leurs missions. Comme au Mexique ou au Pérou, ils n’avaient guère avantage à rechercher dans la vie spirituelle des peuples qu’ils venaient évangéliser, des éléments de richesse constructive dont leurs coreligionnaires auraient pu tirer profit. Et il faut bien reconnaître que pour cette raison en particulier ils n’éveillèrent pas dans les milieux spirituels hindous l’admiration qui aurait pu faire naître les confidences.

De leur côté les hindous ne nous gâtaient pas non plus. Quitter le sol sacré de l’Inde était pour eux un terrible sacrilège qui faisait perdre sa caste au coupable. Et les quelques individus qui vinrent en Occident se recrutèrent longtemps à peu près exclusivement parmi les réprouvés de la société. Fakirs, charmeurs de serpents, avaleurs de sabre, apostats, petits fonctionnaires qui avaient d’avance vendu leur culture et leurs traditions pour mendier le plat de lentilles d’un petit emploi auprès du conquérant, aucun d’eux ne pouvait chez nous faire figure de maître spirituel.

Le premier pont fut jeté par les linguistes et les grammairiens, qui se passionnèrent pour le sanskrit, considéré alors comme la mère de toutes les langues d’Occident. Ils nous rapportèrent de précieuses traductions littérales qui d’ailleurs passaient généralement à côté du sens profond sans même en soupçonner l’existence. Néanmoins, s’ils ne gagnèrent pas pour cela l’estime des maîtres spirituels, nos philologues prouvèrent à l’Inde que nous avions une culture autre que celle de l’argent et de la poudre.

Les théosophes établirent un lien beaucoup plus solide. Ils furent les premiers à aborder l’Inde avec le respect qui lui était dû, et non avec un complexe de supériorité ou avec la curiosité scientifique du savant de laboratoire. Ils vulgarisèrent en Occident diverses notions importantes(….)

Le terrain se trouvait sérieusement préparé lorsque vers la fin du XIXème siècle des sages hindous authentiques commencèrent à penser à nous comme des êtres dignes eux aussi de partager la grande sagesse jalousement conservée par eux pendant des millénaires. Shri Râmakrishna ( 1836-1886) disait «  j’ai là-bas beaucoup d’enfants qui parlent des langues que je ne connais pas » Le problème des langues créait d’ailleurs une barrière insurmontable. Nous avons vu déjà la profonde différence de mentalité et de préoccupations essentielles qui nous sépare de l’Inde. Pour se faire comprendre de nous, les sages hindous ne devaient pas seulement apprendre les mots européens qui traduisent plus ou moins approximativement les termes sanskrits, mais aussi et surtout découvrir comment joue notre esprit, comment fonctionne notre raison, quelles arrière-pensées et quels atavismes se cachent derrière chacune de nos attitudes.

C’est un disciple de Shri Râmakrishna, Swâmi Vivekânanda ( 1863-1902), qui le premier vint à notre rencontre. Au parlement des Religions de 1893 à Chicago, il apporta le message de l’Inde et nous tendit une main fraternelle. pendant ses séjours aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre, en France et en Allemagne, il entra en contact avec notre élite. Pour la première fois depuis l’époque hellénistique, les représentants les plus qualifiés de la culture traditionnelle hindoue et de la civilisation gréco-chrétienne engageaient une conversation directe.

Le moment était particulièrement propice. Depuis bien des siècles, mais plus encore depuis la révolution industrielle en Europe et l’essor pris par l’Amérique grâce à la mise en valeur ( si rudimentaire soit-elle) de ses richesses naturelles, ces deux grands groupes humains s’étaient engagés sur des voies en apparence inconciliables. Tandis que l’Inde sacrifiait délibérément santé physique, richesse matérielle, pouvoir politique pour conserver et cultiver les plus belles fleurs de la spiritualité dans une ambiance d’amour et de renoncement qui leur fût favorable, l’Occident, oublieux des enseignements du Christ, s’était jeté à corps perdu dans l’âpre concurrence née d’un égoïsme sauvage, individuel et collectif, pour y chercher les biens de ce monde par la force et la ruse, la science et la technique. La soif de puissance, de confort, de luxe, balayait impitoyablement toute préoccupation spirituelle; la science remplaçait Dieu. Et de chaque côté l’effort était couronné de succès, justement parce qu’on l’accomplissait en sacrifiant beaucoup. L’Inde gardait pour les hommes à venir le précieux trésor de la sagesse antique; l’Occident conquérait pour eux la maîtrise extérieure et leur assurait la certitude de toujours pouvoir se loger, se vêtir, se chauffer, se nourrir tous sans famine ni disette.

En ces dernières années du XIXè siècle toutefois, une certaine inquiétude commençait à se faire jour de part et d’autre. Nous avions la surprise douloureuse de voir les découvertes les plus belles et les plus nobles de nos savants prostituées au dieu de la  guerre et de la destruction, les conquêtes les plus admirables de nos ingénieurs captées pour le service d’égoïsmes étroits et cruels. Nous commencions à nous demander si les grands idéals de service et d’amour du prochain n’étaient pas malgré tout l’essentiel, et si la science et la technique ne devaient pas en rester les esclaves dociles. D’autre part, l’Orient en général et l’Inde en particulier, las de se sentir exploités par nous et de payer de leur misère le standard de vie élevé dont nous tirions gloire, soumettaient à l’examen d’une critique sévère leur attitude traditionnelle de renoncement, d’abnégation et d’ascétisme. Certains groupes montraient une tendance à ne plus rejeter systématiquement les biens matériels comme néfastes au développement spirituel. Shri Râmakrishna proclamait: «  la religion n’est pas pour les ventres vides ».

L’humanité était mûre pour entreprendre une nouvelle étape. Les douleurs de l’enfantement ne doivent pas nous faire perdre de vue les joies d’une vie nouvelle. »

Jean Herbert, les Cahiers du Sud «  Maitres hindous contemporains »

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